Pages

Positionnement de la DSI vis à vis du Cloud

Les articles prolifèrent sur la migration inéluctable des services vers le Cloud. La DSI qui jusqu’à présent régnait en hégémonie pour la construction et l’exploitation des services informatiques se voit de plus en plus mise en concurrence. S’il s’avère que la DSI n’est pas bien positionné en termes de prix, elle peut voir son périmètre se réduire par la perte d’activité transférée par les métiers vers des hébergeurs en cloud.
La DSI évolue dans un écosystème complexe qui devient de plus en plus concurrentiel ; elle doit donc investir dans des méthodes de contrôle de gestion qui lui permettent de se positionner vis-à-vis des concurrents. Avant de choisir entre « faire » ou « faire faire », la DSI doit analyser les alternatives en prenant en compte un nombre de point évoqués ci-dessous.




Bien comprendre le modèle de facturation du fournisseur

Le modèle du cloud repose sur un principe simple : une facturation à l’usage selon les volumes consommés. Ce qui semble simple sur le papier peut cacher des éléments de facturations plus complexes dirimants aux gains prétendus initialement. La transformation du Capex en Opex, argument péremptoire de ces offres, n’est enthousiasmant qu’au regard du comportement variable de l’Opex. Si une charge Opex ne se comporte qu’à la hausse alors il y aura un seuil où un investissement Capex sera financièrement plus intéressant. Il est donc primordial de bien comprendre le modèle de facturation des fournisseurs de cloud pour s’assurer qu’il n’y pas d’obstacles à la baisse de la facturation.
En effet il peut y avoir des clauses de volumes ou de tarifs minimum, ou encore des effets cliquet, des effets de seuil qui empêchent la facture de baisser proportionnellement à l’usage.
La délocalisation dans le cloud ne supprime pas pour autant tous les couts internes : De nouvelles activités naitront au sein de la DSI pour piloter, suivre les prestations des hébergeurs. Des activités et des infrastructures seront toujours nécessaires pour garantir l’interface entre le SI et les services hébergés (outils de flux, pilotage et suivi des échanges, …). Il convient d’intégrer ces coûts récurrents dans le coût du Cloud afin d’être sûr que l’équation économique reste valide.

Analyser le mix prix unitaire x volume

La DSI doit investir dans les méthodes de contrôle de gestion afin d’avoir une visibilité sur sa structure de coûts entre :
  • Les charges directes et indirectes
  • Les charges fixes et les charges variables
La séparation entre charges directes et indirectes est importante pour les outils de costing comme ABC par exemple.
La séparation entre charges fixes et variables est importante pour les outils de rentabilités et de détermination des prix.
Ceux qui reprochent à ABC d’entrainer une fixation des prix difficilement compréhensible par les clients à cause de la variabilité qu’elles entraînent confondent « Costing » et « Pricing ».
La méthode ABC a pour objectif de répartir le plus équitablement les charges indirectes. Ce n’est pas un outil de fixation des prix (Pricing) mais bien un outil de détermination des coûts de revient (Costing). Le prix de vente s’établit au regard de la qualité perçu du produit et du prix de marché.  Aujourd’hui avec la mise en concurrence des DSI par les offres Cloud, le prix de marché peut s'avérer plus important pour la détermination du prix de vente que le coût de revient. Avec un prix de vente imposé, la méthode ABC permet de déterminer la marge par différence entre coût de revient et prix de vente. Elle permet d’identifier les activités ou les ressources en sur consommations qu’ils convient d’améliorer pour atteindre le coût de revient générant la marge qu’on se fixe. C’est le cas de l’utilisation d’une méthode de costing pour déterminer un prix cible (Direct Costing).
Le prix de vente doit être stable dans le temps et facturé avec une unité d’œuvre compréhensible par les clients. C’est ce principe qui a motivé la conception d’un étage supplémentaire dans le modèle d’analyse des coûts du CRIP. Les 3 premiers sont ceux propre à la méthode ABC (ressources, activités, services), le 4ème étant spécifique à la facturation. Ceci montre que l’aspect prix est bien une dimension subsidiaire au coût de revient.
Mais voilà, la marge va fluctuer en fonction du volume car toute production de services contient une part de coûts fixes. Cette part doit être imputée sur le nombre de services vendus. Plus les volumes de ventes augmentent et moins la part des charges fixes est élevée (les charges fixes sont donc variables unitairement !) ce qui entraîne une baisse du coût de revient et donc un accroissement de la marge. Par exemple, plus vous faites de projet et moins le coût des outils de PPM, les fonctions PMO, les directeurs de projets, … (considérés ici comme des charges fixes) pèsent dans le coût complet des projets. Afin d’avoir des estimations de rentabilité économiques, il est souvent utile de fixer des seuils d’activités dites "normaux" et d’y imputer la totalité des charges fixes. Cette technique dits « d’imputation rationnelle » permet d’établir un coût de revient, une marge unitaire et un prix de vente stable. L'imputation rationnel des charges fixes  détermine un seuil d'activité qui est considéré comme étant celui qui couvre la totalité des charges fixes. Cette méthode s'appuie donc sur la distinction des coûts fixes et variables.
Ce sont les hypothèses de volume qui permettent de déterminer le seuil de rentabilité. Il est atteint pour le chiffre d’affaire (prix unitaire X volume) qui couvre les charges fixes. En-deçà de ce seuil, on perd de l’argent et au-delà on en gagne.
Ceci illustre les interconnexions qui existent entre les outils de Costing qui s’attèlent à déterminer un coût incorporant l’ensemble des charges notamment en répartissant au mieux les charges indirectes et les outils de « pricing » qui s’attèlent à mesurer l’impact des charges fixes vis-à-vis des volumes facturés.
Pour déterminer un prix de vente stable et réaliste, il s’agit bien ici pour la DSI et ses clients de construire et de suivre une projection de l’évolution des volumes d’utilisation des services Cloud, et si nécessaire de formaliser des scénarios d’évolution. Pour la DSI, il s’agit d'être en capacité de se positionner sur un prix de vente et sur des volumes prévisionnels réalistes vis à vis de ses coûts de revient. Il est donc nécessaire de connaître le plus précisemment :
  • Ses coût de revient actuel (méthode de costing type ABC)
  • De déterminer son seuil de rentabilité en fonction des volumes (méthode d’imputation rationnel des charges fixes)
  • Si nécessaires d’évaluer les optimisations au niveau du sourcing, des activités, des services pour être concurrentiel (Direct costing)
A l’aide de ces techniques, il peut être parfois intéressant de s’apercevoir que la DSI peut proposer des services identiques à un coût de revient et donc à un prix de vente plus attractif au-delà d’un certain volume que certaines offres Cloud où la variabilité de la facturation à l’usage n’est pas si sincère.

Comprendre le positionnement des acteurs

Comme nous l’avons vu précédemment, il ne faut pas confondre coût de revient et prix de vente. C’est d’autant plus vrai avec les acteurs du Cloud : Ils ont certainement une structure de coûts avec d’importantes charges fixes car eux aussi doivent supporter les conséquences de la construction de leurs datacenters et de leurs infrastructures. certains acteurs peuvent avoir choisi une stratégie de rentabilité à long terme construite sur des prix unitaires bas et des volumes importants. C’est par exemple le modèle de AWS. Les acteurs du Cloud optent pour une politique de pénétration de marché avec des prix très attractifs et certainement en-deçà de leurs coûts de revient.
La DSI qui se trouve en concurrence frontale avec ces fournisseurs se voit bien souvent désarmée car en l’absence de méthodes de costing formelles elle n’a qu’une idée approximative de ses coûts de revient, et n’intègre que rarement les effets volumiques de ses coûts fixes. Elle est donc souvent en dehors des clous !
Par conséquent, il est important de se positionner en fonction des hypothèses de volumes (chapitre ci-dessus) et d’être en mesure également d’avoir une posture plus attractive sur les prix en raisonnant en coût marginal pour contrer des prix agressifs.

Valorisation à coût marginal

Un coût marginal est le coût d’une unité additionnelle produit et vendue. Il ne contient dans cette hypothèse, que les charges supplémentaires qui résultent de cette dernière unité produite. Donc, avec une hypothèse de non saturation des capacités de production, il est possible de calculer un coût en incluant que les seules charges variables supplémentaires. Par exemple, en considérant une infrastructure Cloud avec des hyperviseurs et des machines virtuelles, on ne prend en compte que les seuls coûts additionnels engendrés par l’ajout d’une VM (licences, machines, stockage, ETP supplémentaires si les équipes sont saturées, …). On considère que la totalité des charges fixes sont supportées par les objets de coûts existant avant l’unité additionnelle.
Ce principe permet de rétablir les forces en jeux : un prix de vente ne reflétant qu’une partie des coûts sera comparé à un coût marginal n’intégrant lui aussi qu’une partie des coûts !

Appréhender les autres natures de coûts

Les coûts cachés

L’externalisation de certains services peut générer des coûts cachés. Il faut être vigilant à ce que les supposés économies du Cloud n’entraine pas une augmentation des coûts au global pour l’entreprise.
Un coût caché est un coût qui n’est pas inscrit dans la comptabilité. Cette dernière ne prend en compte que ce qu’elle connaît et ne peut pas comptabiliser ce qui n’apparait pas clairement.
Un facteur de risque de coûts cachés peut provenir du temps perdus par les utilisateurs par un service qui n’est pas opérationnel ou plus probable dans le cadre d’un hébergeur, d’un service moins souple car entièrement formalisé par un cadre contractuel rigide. Le risque est de voir des demandes utilisateurs rejetées (par exemple : une demande d’extraction de données spécifique) car non prévu au contrat. Par conséquent, il est primordial de mesurer le périmètre de fonction intégré à un service et de le comparer à ce qui est fait en interne. C’est une démarche d’analyse de la valeur qui doit être mené. Si la fonctionnalité n’est pas prévue au contrat il faut mesurer le délai requis pour l’intégrer et le coût additionnel engendré.
Ainsi par exemple, pour la mise à disposition d’un serveur (Paas), on peut se poser les questions suivantes :
  • A-t-on des dispositifs de réplication des données synchrones ? Quels sont-ils ?
  • A-t-on les sauvegardes et les restaurations inclus dans le prix du service, pour quelle stratégie de sauvegarde (capacité de faire un retour arrière jusqu’à combien de temps) ?
  • A-t-on les infrastructures inclus dans un site de secours et si oui, est-ce que le prix intègre les exercices de bascule sur le PSI ? Combien d’exercices prévus ?
  • A-t-on une bande passante réseaux garanti et un débit illimité, si non quel sont les seuils ?
  • A-t-on des métriques de prise d’appel et de délai de résolution d’incident garanti ?
  • Etc.
Ce principe permet de faire :
  • L’inventaire de fonctions intégrées dans un service proposé en interne (on décompose le service en autant de fonctions, qui peuvent être les activités d’un modèle ABC)
  •  De voir si l’équivalent est proposé dans l’offre Cloud, si oui est-ce à un niveau de coût et de qualité identique, si non quel est le surcout en cas d’ajout
Ainsi, indépendamment de ce que recouvre un prix (voir ci-dessus Positionnement des acteurs), il devient aussi possible d’identifier l’ensemble des fonctions packagées dans un service et de mettre en lumières les écarts pour ne comparer que les seules choses similaires.

Détérioration de la performance économique de la DSI

Il faut également être vigilant à ne pas détériorer le niveau de performance de la DSI en allant dans le Cloud. Ceci peut se produire, si la souscription d’une offre Cloud entraîne une réduction d’activité de la DSI. Nous avons vu le poids inversement proportionnel des coûts fixes au regard du volume. Par conséquent, si une DSI migre une partie de ces services dans le Cloud, il faut être vigilant à ne pas impacter à la baisse le niveau de sollicitation des activités humaines et des infrastructures. Autrement dit, la migration dans le Cloud peut être intéressante lors d’un surcroît d’activité, une augmentation du périmètre de la DSI.
Autrement, à périmètre identique, la migration dans le cloud a pour conséquence une baisse d’activité en interne et donc un accroissement des coûts unitaires dû à la part plus importante des charges fixes. Parmi les charges fixes, on trouve essentiellement la masse salariale des internes et les parts des infrastructures investies mais sous utilisés (ce qu’on appelle le coût de sous-utilisation).
Même si le pilotage des fournisseurs externes donnent naissance à de nouvelles activités en interne, il faut être vigilant à ce que cela reste en phase avec les compétences internes Allouer la mission de pilotage à des profils ingénieur système n’est pas toujours pertinent car ils n’ont pas forcément les compétences et cela pourrait être vu comme une tâche administrative peu gratifiante.
Il faut donc faire attention à ne pas se tirer une balle dans le pied, en migrant à l’extérieur des activités dites moins chères car on peut empirer l’écart de performance économique et donc tomber dans une spirale où plus la DSI externalise et moins elle sera compétitive !

Cohérence globale du SI

Enfin, à l’échelle du système d’information, il est important de garder une vision cohérente globale des SI. Les décisions isolées des métiers de partir dans le Cloud peuvent être financièrement intéressante au cas par cas mais risque d’entrainer des surcouts au global en multipliant les solutions et ayant les plus grandes difficultés pour coupler les fonctions externalisés avec le reste du SI.
Il faut être vigilant à ce que les Shadow IT ne génèrent pas des coûts cachés plus importants.

Conclusions

La construction d’une cellule de pilotage économique au sein des DSI devient incontournable pour celle qui souhaite survivre face à la concurrence et si elle veut se positionner comme un acteur crédible et écouté nottament des métiers.
En maîtrisant les outils de contrôle de gestion, en offrant ces services d’information et de reporting, la DSI peut se positionner comme un allié en mesure d’expliquer les conséquences de certains choix. Elle accompagnera plus facilement les métiers ainsi.
Vis-à-vis des offres Cloud, il n’est pas question de rejeter toutes idées d’externalisation mais de le faire intelligemment, en touts connaissances de causes donc sans céder aux chants des sirènes si en vogue en ce moment.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire